Il blog dell’Istituto Svizzero permette ai Fellow e ai Senior Fellow di entrare in contatto con il pubblico durante il loro soggiorno a Roma, Milano o Palermo, offrendo una prospettiva unica sul progresso della loro pratica e ricerca. Attraverso una serie di articoli pubblicati regolarmente, si ha lâopportunitĂ di seguire da vicino la ricerca e le riflessioni dei residenti. Per leggere i blog post delle precedenti edizioni cliccare qui.
Lundi 26 septembre 2022. Une journĂ©e spĂ©ciale car avec lâarrivĂ©e de lâautomne et de tempĂ©ratures plus raisonnables, les salles de cinĂ©ma de Palerme rouvrent leurs portes pour une nouvelle saison. Une journĂ©e spĂ©ciale Ă©galement car hier le peuple italien a votĂ© et les rĂ©sultats, qui paraissaient impensables depuis 1945, sont, pour utiliser un euphĂ©misme, des plus inquiĂ©tants.
Avec Maya Hottarek, lâartiste avec qui je partage cette rĂ©sidence au Palazzo Butera, nous nous rendons au Cinema Rouge et Noir, qui se trouve prĂšs du Teatro Massimo, en plein coeur de Palerme. Tous les lundis soir a lieu le cinĂ©-club, lâendroit est bondĂ©, tout le monde se connaĂźt et se salue, un seau de pop corn dans une main, un Campari Soda dans lâautre.
AprĂšs les mondanitĂ©s palermitaines dâusage, place au 7Ăšme art, qui est, aprĂšs tout, la raison de mon sĂ©jour ici. Gian Mauro Costa, le directeur du Rouge et Noir, prĂ©sente dâabord le film du jour, M le Maudit de Fritz Lang. Puis, la mine grave, il Ă©voque ce qui est dĂ©jĂ sur toutes les lĂšvres depuis la veille. Il est inquiet, comme tout le monde dans la salle. JournĂ©e spĂ©ciale ai-je dit plus haut, journĂ©e tristement historique, rectifie-t-il.
A Palerme, le sacré est partout. Le profane aussi.
Sur les autels, Marie est entourée par des canettes de biÚres vides, fidÚles gardes du corps.
Sur les places, les confettis rose Madre di Dolore prega per noi se cachent entre les pavés sur lesquels roulent les enfants en scooters.
Et sur la scĂšne du cinĂ©ma, le directeur a des allures de prĂȘtre et nous Ă©coutons son sermon avec attention.
Câest pour et par la culture que nous devons nous battre, affirme-t-il.
La culture, câest peut-ĂȘtre le sacrĂ© et le profane Ă la fois ? Le cinĂ©ma lâest en tout cas, câest ce que me racontait Mario Bellone, figure emblĂ©matique de la culture palermitaine et ancien directeur du cinĂ©ma en plein air de la Villa Philippina, autour dâun macchiato au CafĂ© Luca. Il affirme que le seul endroit oĂč les gens se rendaient avec autant dâassiduitĂ©, et plus dâenthousiasme, quâĂ lâĂ©glise, câĂ©tait les arene. Si les Ă©glises sont classĂ©es au patrimoine et protĂ©gĂ©es, ce nâest pas le cas de ces temples ephĂ©mĂšres du film.
Arene est le nom donnĂ© Ă ces cinĂ©mas de quartier en plein air qui se sont dĂ©veloppĂ©s principalement durant les annĂ©es cinquante Ă septante, suite aux bombardements qui avaient constellĂ© la ville de vide, de terrains vagues, que le cinĂ©ma, en plein essor Ă cette Ă©poque, sâest empressĂ© de venir combler. Ces arene naissaient dans les cours Ă lâarriĂšre de cinĂ©mas existants, sur des petites places, ou mĂȘme entre deux maisons; elles fleurissaient partout oĂč un soupçon dâespace libre le leur permettait. Leur organisation Ă©tait simple et gĂ©nĂ©ralement ces espaces se crĂ©aient souvent sur lâinitiative des habitants du quartier, qui parfois allaient mĂȘme jusquâĂ apporter les chaises en plastique de leur cuisine.
Au cours de cette rĂ©sidence, lâobjectif est de mettre par Ă©crit lâ histoire principalement orale de ces arene, de chercher des indices de leur existence dans les archives des journaux palermitains LâOra et Il Giornale di Sicilia, de rĂ©colter tĂ©moignages et anecdotes et Ă©ventuellement de tenter de faire revivre ces lieux pour des Ă©venements contemporains.
Avec Nuova Orfeo, collectif dâartistes que jâai rencontrĂ© au cours de ma rĂ©sidence et qui a dĂ©jĂ organisĂ©, en 2021, une projection dans lâancienne Arena Sirenetta Ă Mondello, nous nous sommes pris au jeu dâimaginer un Ă©venement similaire dans lâemblĂ©matique Cinema-Teatro Arena Trianon.
Cette arena se trouve via Alessandro Scarlatti 14, Ă quelque pas du Cinema Rouge et Noir et fut rĂ©alisĂ©e en 1944-45 par lâarchitecte Giovanni Pernice et Paolo Caruso sur demande dâun riche commerçant de Catagne, Giovanni Papale, passionĂ© de thĂ©Ăątre et de cinĂ©ma. La commune de Palerme lui avait cĂ©dĂ© un terrain prĂšs du magasin dâĂ©lĂ©ctromĂ©nager quâil possĂ©dait dĂ©jĂ sur une rue adjacente. Ce genre de projet Ă©tait particuliĂšrement rentable aprĂšs la guerre, et lâarene fut construite avec des matĂ©riaux rĂ©cupĂ©rĂ©s des bombardements dans une architecture typiquement fasciste, comme le reste du quartier dans lequel elle se situe. Elle devint rapidement un haut lieu de culture de la ville et accueillit sur ses planches de grands noms tels que Alberto Sordi ou Mata Hari, puis son activitĂ© se rĂ©duisit aux projections cinĂ©matographiques et finalement, avec lâarrivĂ©e de la tĂ©lĂ©vision dans les foyers, sa fonction devint presque dĂ©suĂšte.
Elle fut vendue aux enchÚres dans les années quatre-vingt et est depuis lors, utilisée comme parking.
AprĂšs trois mois de recherches thĂ©oriques Ă Palerme, je pense encore Ă la conclusion du discours de Gian Mauro Costa. Devant lâĂ©cran, il nous regardait tous assis, disciples de la culture, marĂ©e de petites tĂȘtes aurĂ©olĂ©es par la lumiĂšre encore allumĂ©e de la salle de cinĂ©ma et il nous assĂ©na un dernier conseil, ou mĂȘme un ordre, que jâai dĂ©cidĂ© de prendre au pied de la lettre.
Non stare zitti, vi prego.
Fate casino!
AprĂšs lâannexion de Rome par le Royaume dâItalie en 1870, lâessor de la bureaucratie savoyarde et la fiĂšvre de construction qui lâaccompagne redessinent peu Ă peu les contours de lâancienne citĂ© papale. IndiffĂ©rente Ă la beautĂ© de la citĂ© Ă©ternelle, la nouvelle classe dirigeante retire les privilĂšges de lâancien patriciat, mue par lâambition de construire la Rome moderne. Le quartier de Ludovisi, qui sâĂ©tend entre Villa Borghese â un des grands parcs de la ville â et Piazza Barberini, est au cĆur de ces changements. AprĂšs la mise en vente, en 1886, par la famille Ludovisi du parc luxuriant quâil abritait, le quartier est entiĂšrement urbanisĂ© et devient rapidement lâun des grands centres de la vie romaine.
En 1925, la Confederazione Nazionale Sindacati Fascisti y fait lâacquisition de certains de ses plus beaux sites. Le but est de donner Ă la construction de lâEtat fasciste (qui, par la Carta del Lavoro ou Charte du travail, de 1926, fait du nouveau droit corporatif le moteur de son action) une empreinte architecturale, en Ă©rigeant dans ce quartier son principal siĂšge ministĂ©riel. La mise au concours du projet en 1926 dĂ©signe deux laurĂ©ats ex-aequo, Marcello Piacentini et Giuseppe Vaccaro: le premier, dieu vivant de lâarchitecture en Italie; le second, son dauphin et star montante. Marcello Piacentini, qui avait dĂ©jĂ dessinĂ© le plan gĂ©nĂ©ral du quartier, prend en charge le dĂ©but de la mise en Ćuvre. Mais alors que sont dressĂ©es les fondations, le chantier est brusquement interrompu en 1928: la Confederazione Nazionale est dissoute, et avec lâintensification de la crise financiĂšre mondiale, le budget prĂ©vu devient impossible Ă tenir.
Vaccaro et Piacentini doivent donc adapter le projet aux nouvelles exigences dâaustĂ©ritĂ©: des 40 millions prĂ©vus, le budget tombe Ă 29 millions; le bĂątiment se transforme en une masse compacte; aux ouvertures moins nombreuses, construite avec des matĂ©riaux locaux et moins chers. Les motifs dĂ©coratifs sont sensiblement rĂ©duits, et le nombre de salles de rĂ©ception revu Ă la baisse. Vaccaro prend les rĂȘnes de lâĂ©dification de la nouvelle version, qui avance rapidement.
Quand le 30 novembre 1932, le siĂšge du ministĂšre des Corporations est enfin inaugurĂ©, lâIstituto Luce immortalise lâĂ©vĂ©nement. La camĂ©ra filme lâensemble dâentrĂ©e grandiose, bordĂ© dâĂ©normes platanes puis, quelques instants plus tard, lâarrivĂ©e dâune Lancia noire, qui sâarrĂȘte devant les marches. Mussolini et le secrĂ©taire du parti national fasciste italien Achille Starace sortent rapidement du vĂ©hicule et pĂ©nĂštrent dans le bĂątiment, avec au fond lâescalier dâhonneur et le triple vitrail de Sironi qui illustre la Carta del lavoro. Dans la salle de confĂ©rence, Mussolini annonce le nouveau statut de lâEtat corporatif fasciste; derriĂšre lui, les veines des dalles en travertin crĂ©ent des motifs gĂ©omĂ©triques abstraits, surmontĂ©s de trois faisceaux de licteur en bronze de plus de quatre mĂštres de haut. DĂšs le discours terminĂ©, la voiture repart sur une Via Veneto dĂ©serte; on entrevoit lâimposante façade du palazzo, qui suit lâarrondi de la route. La foule se disperse, la lumiĂšre baisse, le bĂątiment disparaĂźt.
Quelques annĂ©es plus tard, aprĂšs lâarmistice signĂ© le 8 septembre 1943, Rome est unilatĂ©ralement dĂ©clarĂ©e ville ouverte, et les troupes allemandes occupent la citĂ©. Le quartier de Via Veneto devient le centre de contrĂŽle des actions nazi-fascistes, et le Palazzo delle Corporazioni leur siĂšge dĂ©signĂ©. Le 23 mars, les cĂ©lĂ©brations du 25e anniversaire de la fondation du parti fasciste se tiennent Ă lâintĂ©rieur du bĂątiment. Quelques heures plus tard, lâunitĂ© partisane des Gruppi di Azione Patriottica (Groupes dâaction patriotique), dans une action visant Ă sortir de sa torpeur une population en attente de lâarrivĂ©e des alliĂ©s, fait exploser une bombe Ă deux pas de lâancien siĂšge du ministĂšre, tuant 33 soldats allemands. La rĂ©action nazie, soutenue par lâadministration de la Repubblica Sociale Italiana, donnera lieu au massacre des Fosses ardĂ©atines, au cours duquel 335 prisonniers italiens, totalement Ă©trangers aux actions partisanes, sont tuĂ©s prĂšs de la Via Appia Antica. Quelques mois plus tard, les alliĂ©s entrent Ă Rome; la ville est libĂ©rĂ©e et les forces amĂ©ricaines installent leur base logistique dans le palazzo construit par Vaccaro et Piacentini.
La fin de la Seconde Guerre mondiale entraĂźne une rĂ©organisation complĂšte de lâordre Ă©tatique; les emblĂšmes sont retirĂ©s, les administrations remplacĂ©es. Le Palazzo delle Corporazioni nâĂ©chappe pas Ă ces changements et devient le ministĂšre de lâIndustrie. Afin de rompre avec le passĂ© ou cacher les liens entretenus avec le fascisme, lâintĂ©rieur est transformĂ©: les symboles qui ornaient le bĂątiment â des fasces qui apparaissaient sur la façade jusquâaux tapisseries et aux fresques â sont retirĂ©s et les archives ministĂ©rielles disparaissent. AprĂšs la fin de la guerre et le dĂ©but du boom Ă©conomique, le quartier de Via Veneto devient le berceau de la dolce vita, telle que reflĂ©tĂ©e dans les films de Fellini: le lieu de prĂ©dilection des chanteurs, des journalistes et des acteurs. Rome reprend vie et Via Veneto est lâun de ses quartiers les plus animĂ©s, avec toujours, en toile de fond, le Palazzo delle Corporazioni.
SĂ©jour prĂšs de Villa Maraini
Le siĂšge de lâIstituto Svizzero est lui aussi situĂ© au cĆur de ce quartier, construit au dĂ©but du XXe siĂšcle sur les vestiges de lâancienne Villa Ludovisi. DĂšs le portail franchi, on aperçoit lâancien Palazzo delle Corporazioni â qui abrite aujourdâhui ministĂšre italien des Entreprises et du Made in Italy â en toile de fond de Via Cadore. Ces dix mois de rĂ©sidence Ă la Villa Maraini auront une grande importance dans ma recherche de doctorat, qui â Ă la lumiĂšre de lâitinĂ©raire professionnel de lâarchitecte Giuseppe Vaccaro (1896â1970) â retrace les bouleversements socio-politiques qui ont marquĂ© le XXe siĂšcle en Italie, sous lâangle de lâarchitecture. La consultation des archives publiques et privĂ©es â Ă Rome, Ă Bologne, Ă Naples ou encore Ă Milan â mâoffrira un accĂšs direct Ă des sources de premiĂšre main, essentielles pour ma thĂšse.