Il blog dell’Istituto Svizzero permette ai Fellow e ai Senior Fellow di entrare in contatto con il pubblico durante il loro soggiorno a Roma, Milano o Palermo, offrendo una prospettiva unica sul progresso della loro pratica e ricerca. Attraverso una serie di articoli pubblicati regolarmente, si ha lâopportunitĂ di seguire da vicino la ricerca e le riflessioni dei residenti. Per leggere i blog post delle precedenti edizioni cliccare qui.
On peut cueillir le jour, comme le dit Horace, mais peut-on cueillir hier et demain aussi ? La gestion des souvenirs heureux et des craintes est cruciale Ă lâexercice du bonheur Ă©picurien. Une erreur de comprĂ©hension pourrait sâavĂ©rer fatale Ă la bĂ©atitude. Ce serait dommage.
Le poĂšte et philosophe Ă©picurien (ou philosophe et poĂšte, câest selon) LucrĂšce prĂ©tend que si le temps nâest rien en soi (De rerum natura 1.459), le passĂ© est nĂ©anmoins une propriĂ©tĂ© dâun lieu ou dâun objet. Car le temps est corrĂ©latif de tout changement et tout changement dĂ©pend dâun objet. Chaque chose aurait ainsi son histoire en elle, Ă©voluant conjointement et se dĂ©gradant doucement.
La conceptualisation dâun temps abstrait Ă partir de cela est une affaire trĂšs dĂ©licate. Le « temps » ne dĂ©pend alors plus seulement de lâobjet changeant ou du phĂ©nomĂšne se produisant, mais aussi de son observation. Le rapport empirique au temps doit toujours rester au centre de sa conceptualisation. Une confiance aussi solide dans la validitĂ© de lâexpĂ©rience pour une chose aussi abstraite est remarquable dans lâantiquitĂ©. Mais cela crĂ©e Ă bien des Ă©gards plus de problĂšmes que cela nâen rĂ©sout : peut-on alors jamais vraiment parler dâautre chose que de nos ressentis ?
Epicure nous met devant un dilemme quâon retrouve sous dâautres formes chez les philosophes H. Bergson et J. McTaggart, quelques 2000 ans aprĂšs LucrĂšce. Temps-Ă©volution objectif ou temps-durĂ©e subjectif, causal ou perçu, changement ou concept, le chemin de crĂȘte entres les diffĂ©rents temps est malaisĂ©. Les phrases Ă moitiĂ© finies sur des papyrus carbonisĂ©s par lâĂ©ruption du VĂ©suve ou sur des parchemins abĂźmĂ©s du Vatican ne nous aident pas franchement Ă comprendre les Ă©picuriens. Ces sources Ă©parses, fragmentaires et souvent lacunaires forcent la spĂ©culation Ă chaque coin de lignes. Câest un risque et une opportunitĂ©. Câest la sĂšve de la passion philologique.
Ma recherche sur le temps Ă©picurien avance une nouvelle lecture des textes qui dynamise le dualisme entre temps absolu (celui de la course effrĂ©nĂ©e des atomes) et temps de lâexpĂ©rience (entre deux pauses-cafĂ©). En creux, câest la portĂ©e ontologique des concepts chez Epicure dont il est question. Car dire ce que lâon sait ne revient pas forcĂ©ment Ă dire ce qui est. Faire le premier est dĂ©jĂ complexe, tenter le second est audacieux. Mais je crois Epicure ambitieux.
Rome antique sans romantique
Jâai commencĂ© ma rĂ©sidence de 5 mois ici Ă Rome Ă la mi-fĂ©vrier. Personnellement plutĂŽt portĂ© sur la thĂ©orie et les textes, la ville mâa rapidement rappelĂ© Ă la rĂ©alitĂ©. LâexpĂ©rience sensorielle constante de productions antiques interroge : comment les voir (ou les ignorer) ? Les lire ou les Ă©crire ? On peut en tout cas difficilement en faire lâĂ©conomie, si tant est mĂȘme quâon le veuille. A Rome, ma rĂ©flexion sur le temps est devenue inĂ©vitablement plus empirique. Cela peut paraĂźtre paradoxal mais cette surcharge de passĂ© visible recalibre mon rapport Ă celui-ci vers plus de sobriĂ©tĂ©. Elle me permet de prendre du recul. A lâusage (ou Ă lâusure), « lâantiquité », ce prĂȘt-Ă -penser commode dont on se croit, se veut ou mĂȘme se crĂ©e si facilement hĂ©ritiers, se rĂ©vĂšle moins exemplaire, moins grave et plus commune. RelativisĂ©e. DĂ©dramatisĂ©e. Il devient alors plus aisĂ© de chercher et partager ses connaissances sans quâĂ son insu on en ait fait les proxys de ses propres valeurs. On perd peut-ĂȘtre en grandiloquence, mais on gagne largement en honnĂȘtetĂ© intellectuelle.
Ces rĂ©flexions sur la prĂ©sence et lâutilisation de lâantiquitĂ© mâont conduit Ă Â organiser une table ronde (ce 31 mai) avec lâartiste en rĂ©sidence Sophie Jung. Le thĂšme en est les canons littĂ©raires et esthĂ©tiques, domaine oĂč lâantiquitĂ© a longtemps jouĂ© un rĂŽle Ă©crasant tant sur la recherche que sur la crĂ©ativitĂ©. Mais mon questionnement du rapport Ă lâantiquitĂ© mâa aussi amenĂ© Ă travailler avec lâartiste en rĂ©sidence GrĂ©gory Sugnaux dans la rĂ©alisation dâune sculpture hybride combinant la typologie du pilier hermaĂŻque antique avec un objet de consommation actuel.
Ces collaborations mobilisant des compĂ©tences variĂ©es font se tĂ©lĂ©scoper les temporalitĂ©s et les rĂ©fĂ©rences. Les savoirs deviennent une matiĂšre Ă travailler. Ils se dĂ©sacralisent, les formes se dĂ©forment, les possibles sâĂ©tendent.
Les clepsydres molles
Il nâest pas certain quâEpicure ait rĂ©ellement dĂ©fendu lâexistence dâun temps absolu, mĂȘme sâil semble parfois jouer avec lâidĂ©e. En arrivant, je partais du principe quâil allait falloir trancher, me dĂ©cider face au dualisme. Mais la relecture des manuscrits et le goĂ»t du mille-feuille archĂ©ologique romain (plutĂŽt que le camembert) remettent les idĂ©es en place. Le temps est plus mou quâon veut bien le croire. Tout comme lâantiquitĂ©, il est peut-ĂȘtre avant tout ce quâon en fait.
Les strates historiques de Rome affleurant ci et lĂ accompagnent quotidiennement ma rĂ©flexion sur le temps dâune part et sur les enjeux et dĂ©fis de ma discipline dâautre part. Se confronter aussi intensĂ©ment aux fragments et reliefs du passĂ© courbe la pensĂ©e. On revient sur ses Ă©vidences, on les actualise, on prend mieux conscience de son interprĂ©tation.
La gĂ©ographie et lâanthropologie portent des regards systĂ©miques sur le monde physique et social, et, comme dâautres disciplines traditionnelles, elles entrent aujourdâhui dans une nouvelle Ăšre culturelle: lâAnthropocĂšne. Leur contribution Ă la perception du cosmos, radicalement transformĂ© par notre espĂšce, nâen est quâĂ ses dĂ©buts. De nouvelles rĂ©flexions Ă©pistĂ©mologiques, de nouvelles mĂ©thodologies, de nouveaux objectifs sont en cours dâĂ©laboration. En tant quâanthropologue, gĂ©ographe, professeur et Ă©crivain, jâĂ©tudie depuis une vingtaine dâannĂ©es le rapport humanitĂ©-environnement, en particulier les cultures narratives et, dans le monde occidental, la narrativisation littĂ©raire du paysage, en tant que de dĂ©passement de lâopposition nature-culture. Ces cinq derniĂšres annĂ©es, je me suis focalisĂ© sur la cartographie des diffĂ©rents imaginaires nĂ©s du tournant de lâAnthropocĂšne, notamment dans le roman contemporain, les arts visuels et certaines formes dâexpression de la pop culture (cinĂ©ma, bandes dessinĂ©es, sĂ©ries TV). Mes rĂ©flexions sont consignĂ©es dans plusieurs essais (La Grande Estinzione. Immaginare ai tempi del collasso, 2019; Antropocene fantastico. Scrivere un altro mondo, 2020; Geografie del collasso. LâAntropocene in 9 parole chiave, 2021; Landness. Una storia geoanarchica, 2022), mais aussi dans deux blogs que jâai crĂ©Ă©s et que jâanime avec lâĂ©crivain Antonio Vena, ici et ici.
PersuadĂ© que seule une approche Ă©clectique permet de cheminer dâapprĂ©hender cette vaste opĂ©ration de cartographie culturelle dans toute sa complexitĂ©, je mĂšne en ce moment trois projets de front: la publication italienne de lâouvrage de Paul Shepard intitulĂ© The Tender Carnivore and the Sacred Game (1973); un essai de contre-cartographie, Terre che non sono la mia. Una controgeografia in 111 mappe (octobre 2023); et un roman Ă©crit Ă quatre mains avec Antonio Vena, Ravenna-Exolution. Le fil rouge qui relie ces trois projets tient, en substance, Ă la conviction que parler de lâAnthropocĂšne appelle lâadoption dâun « plurilinguisme » exploratif. Alors quâil Ă©crivait au dĂ©but des annĂ©es 1970, Paul Shepard, en visionnaire, a su identifier des dynamiques dâeffondrement cognitif dont nous nâavons pris conscience que bien plus tard. Publier son livre en italien 50 ans aprĂšs ne relĂšve pas dâune dĂ©marche historique, mais vise Ă fournir au public italophone un outil particuliĂšrement innovant pour repenser la pathologie anthropocentrique qui mĂšne notre espĂšce au bord de la catastrophe.
Faute de vĂ©ritable imagination â autre symptĂŽme du collapse culturel de lâOccident â, lâĂ©tude des cultures traditionnelles autochtones, en particulier celles de la chasse et de la cueillette, peut permettre de dĂ©centrer et de dĂ©santhropiser le regard: comment des groupes humains trĂšs diffĂ©rents du nĂŽtre voyaient-ils, et voient-ils, la Terre? Comment reprĂ©sentaient-ils et « cartographiaient-ils » leur paysage? Enfin, le roman soulĂšve toujours des questions liĂ©es Ă la narration, et la narratologie est le principal instrument de dĂ©cryptage du nouveau « storytelling » anthropocĂšne, peut-ĂȘtre en y contribuant et en mettant au jour certains rĂ©cits toxiques.
Ces trois pistes de recherche avaient besoin dâun lieu catalytique unique, dâun cube dâespace-temps dans lequel rĂ©flĂ©chir Ă trois vitesses, sans distractions intellectuelles et sociales. Câest alors que sâest concrĂ©tisĂ©e la Senior Fellowship de lâInstitut suisse, qui a permis de rĂ©pondre Ă une exigence encore plus difficile Ă satisfaire: disposer dâun creuset humain et culturel exceptionnel oĂč mener des expĂ©riences de laboratoire, pour donner un cadre conceptuel aux hypothĂšses de travail que, dans cette phase de ma vie, je ressens comme plus urgentes. Sachant que je travaille souvent sur des images et avec des images, jâen ai sĂ©lectionnĂ© une pour mâaccompagner durant mon sĂ©jour romain, pour me servir de « fossile repĂšre » (Leitfossil) et mâaider Ă mâorienter dans lâAtlas de lâAnthropocĂšne (Bilderatlas AnthropozĂ€n): un glacier. Les glaciers du PlĂ©istocĂšne, comme paysage des chasseurs-cueilleurs du PalĂ©olithique; les glaciers comme modĂšle de complexitĂ© et dâirreprĂ©sentabilitĂ© perceptive; les glaciers comme thermomĂštre dâune crise climatique et cognitive. Lâhistoire des glaciers en tant quâobjet scientifique, mais aussi culturel et imaginatif, naĂźt en Suisse, avec les observations de Louis Agassiz et de Horace-BĂ©nĂ©dict de Saussure, dont les enseignements demeurent riches dâenseignement Ă mes yeux aujourdâhui encore. Que je mâintĂ©resse aux cultures palĂ©olithiques, Ă la gĂ©ologie culturelle, Ă lâinvention des Alpes ou Ă la crise climatique, les « glaciers de lâesprit » constituent un thĂšme rĂ©current dans mes travaux. Et câest Ă une relecture de tous ces glaciers Ă la lumiĂšre sinistre de lâAnthropocĂšne que jâentends consacrer mon sĂ©jour Ă Rome.
Cher Temps,
Les villas romaines sont comme des golems qui se dévorent entre eux avant de se cannibaliser. Construites les unes sur les autres, elles cherchent continuellement à se dépasser, alimentant ainsi un cycle sans fin auquel seule une destruction pure et simple peut mettre fin.
Le cannibalisme architectural dĂ©signe la pratique consistant Ă rĂ©utiliser des bĂątiments ou parties de bĂątiments existants pour construire de nouvelles structures. TirĂ© du latin canis, « chien », le terme fait rĂ©fĂ©rence au fait de se nourrir de chiens pour assurer sa propre subsistance. Il est employĂ© dans des contextes trĂšs divers, mais est surtout associĂ© Ă la pratique qui, en architecture, consiste Ă recycler dâanciens bĂątiments ou segments de bĂątiments pour en construire dâautres.
UtilisĂ©e depuis la nuit des temps, cette mĂ©thode nâa rien de nouveau. Le ColisĂ©e de Rome, construit avec des matĂ©riaux repris dâautres structures, en constitue lâun des exemples les plus cĂ©lĂšbres. Plus rĂ©cemment, le terme a aussi Ă©tĂ© employĂ© pour dĂ©crire la destruction dâanciens Ă©difices et la rĂ©utilisation des matĂ©riaux rĂ©cupĂ©rĂ©s pour en Ă©lever dâautres. Alors que le coĂ»t des matĂ©riaux de construction augmente et que la quantitĂ© de bĂątiments anciens disponibles diminue, cette pratique devient aujourdâhui de plus en plus courante.
LâaraignĂ©e veuve noire est une espĂšce sexuellement dimorphique. Les femelles sont beaucoup plus grandes que les mĂąles, puisquâelles mesurent jusquâĂ 4 centimĂštres, alors que les males sont gĂ©nĂ©ralement deux fois plus petits. La durĂ©e de vie varie Ă©galement : les femelles peuvent vivre jusquâĂ 3 ans, tandis que les males ne vivent quâenviron une annĂ©e.
La veuve noire femelle est aussi beaucoup plus agressive et tue souvent le male aprĂšs lâaccouplement. Elle sâaccouple avec de nombreux partenaires et peut stocker le sperme dans son organisme et lâutiliser plus tard.
Le cannibalisme sexuel a quelque chose de tabou qui le rend dâautant plus excitant. LâidĂ©e de manger lâautre â ou dâĂȘtre mangĂ©.e â constitue pour beaucoup un puissant aphrodisiaque.
Le cannibalisme sexuel peut ĂȘtre dangereux et nâest pas adaptĂ© Ă tout le monde. Mais pour ceux et celles qui veulent explorer ce fantasme sombre et tabou, lâexpĂ©rience peut sâavĂ©rer incroyablement Ă©rotique et excitante.
Pour le reste, rien dâextraordinaire, des sphinx de la finance, des codes, des coffres et des montres.