Blog

Grazie a questo blog, l’Istituto Svizzero offre alle/agli ospiti dei suoi programmi di residenza la possibilità di comunicare direttamente con il pubblico durante i mesi di soggiorno a Roma, Milano o Palermo, fornendo uno sguardo privilegiato sullo sviluppo della loro pratica e ricerca. In una serie di articoli pubblicati a cadenza regolare, è quindi possibile seguire studi, riflessioni e notizie delle/dei residenti in tempo reale.

03.05.2023
Matteo Meschiari

L’ère de l’effondrement
Matteo Meschiari

Matteo Meschiari (Modena, 1968), ancien chercheur en sciences Demo ethno anthropologiques, est professeur associé en géographie culturelle à l’université de Palerme. Depuis des années, il étudie le paysage dans la littérature et mène des recherches sur l’espace perçu et vécu en Europe et au-delà. Il a formulé la théorie de l’esprit paysager, selon laquelle l’esprit humain est génétiquement et culturellement basé sur le paysage, et a proposé de nouveaux modèles d’interprétation pour l’art paléolithique franco-cantabrique. Il mène ses études à la fois dans une perspective évolutionniste, cognitive et culturelle (traitant des relations entre la pression environnementale et le développement de modules cognitifs) et dans une perspective anthropologique et géographique (traitant de la dynamique spatiale et de la domestication, des modèles d’habitation et de la dynamique entre l’espace, le corps et la performance dans la tauromachie). Il complète son étude de l’environnement par des écrits militants pour sa défense, ainsi que par des articles et des livres non romanesques et littéraires.

La géographie et l’anthropologie portent des regards systémiques sur le monde physique et social, et, comme d’autres disciplines traditionnelles, elles entrent aujourd’hui dans une nouvelle ère culturelle: l’Anthropocène. Leur contribution à la perception du cosmos, radicalement transformé par notre espèce, n’en est qu’à ses débuts. De nouvelles réflexions épistémologiques, de nouvelles méthodologies, de nouveaux objectifs sont en cours d’élaboration. En tant qu’anthropologue, géographe, professeur et écrivain, j’étudie depuis une vingtaine d’années le rapport humanité-environnement, en particulier les cultures narratives et, dans le monde occidental, la narrativisation littéraire du paysage, en tant que de dépassement de l’opposition nature-culture. Ces cinq dernières années, je me suis focalisé sur la cartographie des différents imaginaires nés du tournant de l’Anthropocène, notamment dans le roman contemporain, les arts visuels et certaines formes d’expression de la pop culture (cinéma, bandes dessinées, séries TV). Mes réflexions sont consignées dans plusieurs essais (La Grande Estinzione. Immaginare ai tempi del collasso, 2019; Antropocene fantastico. Scrivere un altro mondo, 2020; Geografie del collasso. L’Antropocene in 9 parole chiave, 2021; Landness. Una storia geoanarchica, 2022), mais aussi dans deux blogs que j’ai créés et que j’anime avec l’écrivain Antonio Vena, ici et ici.

Persuadé que seule une approche éclectique permet de cheminer d’appréhender cette vaste opération de cartographie culturelle dans toute sa complexité, je mène en ce moment trois projets de front: la publication italienne de l’ouvrage de Paul Shepard intitulé The Tender Carnivore and the Sacred Game (1973); un essai de contre-cartographie, Terre che non sono la mia. Una controgeografia in 111 mappe (octobre 2023); et un roman écrit à quatre mains avec Antonio Vena, Ravenna-Exolution. Le fil rouge qui relie ces trois projets tient, en substance, à la conviction que parler de l’Anthropocène appelle l’adoption d’un « plurilinguisme » exploratif. Alors qu’il écrivait au début des années 1970, Paul Shepard, en visionnaire, a su identifier des dynamiques d’effondrement cognitif dont nous n’avons pris conscience que bien plus tard. Publier son livre en italien 50 ans après ne relève pas d’une démarche historique, mais vise à fournir au public italophone un outil particulièrement innovant pour repenser la pathologie anthropocentrique qui mène notre espèce au bord de la catastrophe.
Faute de véritable imagination – autre symptôme du collapse culturel de l’Occident –, l’étude des cultures traditionnelles autochtones, en particulier celles de la chasse et de la cueillette, peut permettre de décentrer et de désanthropiser le regard: comment des groupes humains très différents du nôtre voyaient-ils, et voient-ils, la Terre? Comment représentaient-ils et « cartographiaient-ils » leur paysage? Enfin, le roman soulève toujours des questions liées à la narration, et la narratologie est le principal instrument de décryptage du nouveau « storytelling » anthropocène, peut-être en y contribuant et en mettant au jour certains récits toxiques.

Ces trois pistes de recherche avaient besoin d’un lieu catalytique unique, d’un cube d’espace-temps dans lequel réfléchir à trois vitesses, sans distractions intellectuelles et sociales. C’est alors que s’est concrétisée la Senior Fellowship de l’Institut suisse, qui a permis de répondre à une exigence encore plus difficile à satisfaire: disposer d’un creuset humain et culturel exceptionnel où mener des expériences de laboratoire, pour donner un cadre conceptuel aux hypothèses de travail que, dans cette phase de ma vie, je ressens comme plus urgentes. Sachant que je travaille souvent sur des images et avec des images, j’en ai sélectionné une pour m’accompagner durant mon séjour romain, pour me servir de « fossile repère » (Leitfossil) et m’aider à m’orienter dans l’Atlas de l’Anthropocène (Bilderatlas Anthropozän): un glacier. Les glaciers du Pléistocène, comme paysage des chasseurs-cueilleurs du Paléolithique; les glaciers comme modèle de complexité et d’irreprésentabilité perceptive; les glaciers comme thermomètre d’une crise climatique et cognitive. L’histoire des glaciers en tant qu’objet scientifique, mais aussi culturel et imaginatif, naît en Suisse, avec les observations de Louis Agassiz et de Horace-Bénédict de Saussure, dont les enseignements demeurent riches d’enseignement à mes yeux aujourd’hui encore. Que je m’intéresse aux cultures paléolithiques, à la géologie culturelle, à l’invention des Alpes ou à la crise climatique, les « glaciers de l’esprit » constituent un thème récurrent dans mes travaux. Et c’est à une relecture de tous ces glaciers à la lumière sinistre de l’Anthropocène que j’entends consacrer mon séjour à Rome.

17.04.2023
Gaia Vincensini

Cher Temps
Gaia Vincensini

Gaia Vincensini vit et travaille entre Genève et Paris. Elle a obtenu son diplôme de licence de la HEAD-Genève en 2016. Dans son travail, elle crée des récits qui explorent les systèmes de valeurs qui structurent l’art et la société. En 2021, elle a remporté les prix Manor et Kiefer Hablitzel I Göhner et en 2020, elle a effectué une résidence de neuf mois à la Cité internationale des arts de Paris. Son travail a été exposé au MAMCO et à la Forde à Genève, au Swiss Institute à New York, à la Maison d’Art Bernard Anthonioz à Nogent-sur-Marne et plus récemment à la Galleria Martina Simeti à Milan et, pendant la FIAC, à la galerie Gaudel de Stampa. À Rome, elle développe une série d’œuvres explorant les divinités du monde contemporain et la manière dont les êtres humains s’y confrontent.

Cher Temps,

Les villas romaines sont comme des golems qui se dévorent entre eux avant de se cannibaliser. Construites les unes sur les autres, elles cherchent continuellement à se dépasser, alimentant ainsi un cycle sans fin auquel seule une destruction pure et simple peut mettre fin.

Le cannibalisme architectural désigne la pratique consistant à réutiliser des bâtiments ou parties de bâtiments existants pour construire de nouvelles structures. Tiré du latin canis, « chien », le terme fait référence au fait de se nourrir de chiens pour assurer sa propre subsistance. Il est employé dans des contextes très divers, mais est surtout associé à la pratique qui, en architecture, consiste à recycler d’anciens bâtiments ou segments de bâtiments pour en construire d’autres.

Utilisée depuis la nuit des temps, cette méthode n’a rien de nouveau. Le Colisée de Rome, construit avec des matériaux repris d’autres structures, en constitue l’un des exemples les plus célèbres. Plus récemment, le terme a aussi été employé pour décrire la destruction d’anciens édifices et la réutilisation des matériaux récupérés pour en élever d’autres. Alors que le coût des matériaux de construction augmente et que la quantité de bâtiments anciens disponibles diminue, cette pratique devient aujourd’hui de plus en plus courante.

L’araignée veuve noire est une espèce sexuellement dimorphique. Les femelles sont beaucoup plus grandes que les mâles, puisqu’elles mesurent jusqu’à 4 centimètres, alors que les males sont généralement deux fois plus petits. La durée de vie varie également : les femelles peuvent vivre jusqu’à 3 ans, tandis que les males ne vivent qu’environ une année.
La veuve noire femelle est aussi beaucoup plus agressive et tue souvent le male après l’accouplement. Elle s’accouple avec de nombreux partenaires et peut stocker le sperme dans son organisme et l’utiliser plus tard.

Le cannibalisme sexuel a quelque chose de tabou qui le rend d’autant plus excitant. L’idée de manger l’autre – ou d’être mangé.e – constitue pour beaucoup un puissant aphrodisiaque.
Le cannibalisme sexuel peut être dangereux et n’est pas adapté à tout le monde. Mais pour ceux et celles qui veulent explorer ce fantasme sombre et tabou, l’expérience peut s’avérer incroyablement érotique et excitante.

Pour le reste, rien d’extraordinaire, des sphinx de la finance, des codes, des coffres et des montres.

20.03.2023
Lisa Virgillito

Un lundi au cinéma. Entre sacré et profane, pop corn et politique
Lisa Virgillito

Lisa Virgillito est titulaire d’un Master en Architecture de l’École polytechnique fédérale de Lausanne – EPFL et ses recherches universitaires portent sur la préservation du patrimoine architectural et culturel des lieux dits « informels » et sur l’intersection de ces activités culturelles avec l’environnement domestique. Une partie de la thèse sera réalisée à Madrid et se concentrera sur l’étude des « corralas », une typologie de logements sociaux du XXIe siècle qui ont également des représentations théâtrales dans leurs cours. À Palerme, elle s’est penchée sur l’étude d’un exemple sicilien, les arènes, anciens cinémas populaires en plein air. Les fragments de ces cinémas encore présents dans la ville on été étudiés et documentés par des photographies et des dessins d’architecture.

Cinema-Teatro Arena Trianon, représentation, 1950.
Source: Alfano, Fabio. Giovanni Pernice: l’Arena Trianon e le altre opere. Palermo: Kalós edizioni, 2019.

Cinema-Teatro Arena Trianon, représentation, 1950.
Source: Alfano, Fabio. Giovanni Pernice: l’Arena Trianon e le altre opere. Palermo: Kalós edizioni, 2019.

Lundi 26 septembre 2022. Une journée spéciale car avec l’arrivée de l’automne et de températures plus raisonnables, les salles de cinéma de Palerme rouvrent leurs portes pour une nouvelle saison. Une journée spéciale également car hier le peuple italien a voté et les résultats, qui paraissaient impensables depuis 1945, sont, pour utiliser un euphémisme, des plus inquiétants.

Avec Maya Hottarek, l’artiste avec qui je partage cette résidence au Palazzo Butera, nous nous rendons au Cinema Rouge et Noir, qui se trouve près du Teatro Massimo, en plein coeur de Palerme. Tous les lundis soir a lieu le ciné-club, l’endroit est bondé, tout le monde se connaît et se salue, un seau de pop corn dans une main, un Campari Soda dans l’autre.

Après les mondanités palermitaines d’usage, place au 7ème art, qui est, après tout, la raison de mon séjour ici. Gian Mauro Costa, le directeur du Rouge et Noir, présente d’abord le film du jour, M le Maudit de Fritz Lang. Puis, la mine grave, il évoque ce qui est déjà sur toutes les lèvres depuis la veille. Il est inquiet, comme tout le monde dans la salle. Journée spéciale ai-je dit plus haut, journée tristement historique, rectifie-t-il.

A Palerme, le sacré est partout. Le profane aussi.

Sur les autels, Marie est entourée par des canettes de bières vides, fidèles gardes du corps.
Sur les places, les confettis rose Madre di Dolore prega per noi se cachent entre les pavés sur lesquels roulent les enfants en scooters.
Et sur la scène du cinéma, le directeur a des allures de prêtre et nous écoutons son sermon avec attention.

C’est pour et par la culture que nous devons nous battre, affirme-t-il.

Annonce de la réouverture de l’Arena Trianon.
Source: L’Ora 13 juin 1951, p. 3., Instituto Gramsci, Palerme.

Annonce de la réouverture de l’Arena Trianon.
Source: L’Ora 13 juin 1951, p. 3., Instituto Gramsci, Palerme.

La culture, c’est peut-être le sacré et le profane à la fois ? Le cinéma l’est en tout cas, c’est ce que me racontait Mario Bellone, figure emblématique de la culture palermitaine et ancien directeur du cinéma en plein air de la Villa Philippina, autour d’un macchiato au Café Luca. Il affirme que le seul endroit où les gens se rendaient avec autant d’assiduité, et plus d’enthousiasme, qu’à l’église, c’était les arene. Si les églises sont classées au patrimoine et protégées, ce n’est pas le cas de ces temples ephémères du film.

Arene est le nom donné à ces cinémas de quartier en plein air qui se sont développés principalement durant les années cinquante à septante, suite aux bombardements qui avaient constellé la ville de vide, de terrains vagues, que le cinéma, en plein essor à cette époque, s’est empressé de venir combler. Ces arene naissaient dans les cours à l’arrière de cinémas existants, sur des petites places, ou même entre deux maisons; elles fleurissaient partout où un soupçon d’espace libre le leur permettait. Leur organisation était simple et généralement ces espaces se créaient souvent sur l’initiative des habitants du quartier, qui parfois allaient même jusqu’à apporter les chaises en plastique de leur cuisine.

Au cours de cette résidence, l’objectif est de mettre par écrit l’ histoire principalement orale de ces arene, de chercher des indices de leur existence dans les archives des journaux palermitains L’Ora et Il Giornale di Sicilia, de récolter témoignages et anecdotes et éventuellement de tenter de faire revivre ces lieux pour des évenements contemporains.

Programme des projections dans les arene de Palerme, été 1951.
Source: L’Ora 17 juin 1951, p. 3, Istituto Gramschi, Palerme.

Programme des projections dans les arene de Palerme, été 1951.
Source: L’Ora 17 juin 1951, p. 3, Istituto Gramschi, Palerme.

Avec Nuova Orfeo, collectif d’artistes que j’ai rencontré au cours de ma résidence et qui a déjà organisé, en 2021, une projection dans l’ancienne Arena Sirenetta à Mondello, nous nous sommes pris au jeu d’imaginer un évenement similaire dans l’emblématique Cinema-Teatro Arena Trianon.

Cette arena se trouve via Alessandro Scarlatti 14, à quelque pas du Cinema Rouge et Noir et fut réalisée en 1944-45 par l’architecte Giovanni Pernice et Paolo Caruso sur demande d’un riche commerçant de Catagne, Giovanni Papale, passioné de théâtre et de cinéma. La commune de Palerme lui avait cédé un terrain près du magasin d’éléctroménager qu’il possédait déjà sur une rue adjacente. Ce genre de projet était particulièrement rentable après la guerre, et l’arene fut construite avec des matériaux récupérés des bombardements dans une architecture typiquement fasciste, comme le reste du quartier dans lequel elle se situe. Elle devint rapidement un haut lieu de culture de la ville et accueillit sur ses planches de grands noms tels que Alberto Sordi ou Mata Hari, puis son activité se réduisit aux projections cinématographiques et finalement, avec l’arrivée de la télévision dans les foyers, sa fonction devint presque désuète.

Elle fut vendue aux enchères dans les années quatre-vingt et est depuis lors, utilisée comme parking.

Après trois mois de recherches théoriques à Palerme, je pense encore à la conclusion du discours de Gian Mauro Costa. Devant l’écran, il nous regardait tous assis, disciples de la culture, marée de petites têtes auréolées par la lumière encore allumée de la salle de cinéma et il nous asséna un dernier conseil, ou même un ordre, que j’ai décidé de prendre au pied de la lettre.

Non stare zitti, vi prego.
Fate casino!

Cinema-Teatro Arena Trianon, Via Alessandro Scarlatti, aujourd’hui.
Source: Photographie par Giovanni Lizzio.

Cinema-Teatro Arena Trianon, Via Alessandro Scarlatti, aujourd’hui.
Source: Photographie par Giovanni Lizzio.

Zur Seite:
Züruck zum Anfang