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Grazie a questo blog, l’Istituto Svizzero offre alle/agli ospiti dei suoi programmi di residenza la possibilità di comunicare direttamente con il pubblico durante i mesi di soggiorno a Roma, Milano o Palermo, fornendo uno sguardo privilegiato sullo sviluppo della loro pratica e ricerca. In una serie di articoli pubblicati a cadenza regolare, è quindi possibile seguire studi, riflessioni e notizie delle/dei residenti in tempo reale.

19.06.2023
Sybille Berg

Mon séjour à Rome
Sybille Berg

Sybille Berg est née en 1968 à Weimar (RDA). Elle a vécu dans une famille d’accueil à Constanta, la ville portuaire roumaine sur la Mer Noire, puis en Israël et en Allemagne. De nationalité suisse, Sybille Berg est l’autrice d’un grand nombre de nouvelles, essais, courts récits de fiction, pièces de théâtre, pièces radiophoniques et rubriques.
Elle est une écrivaine contemporaine, considérée comme l’un des auteurs et dramaturges les plus célèbres et les plus influents du monde germanophone. Elle a remporté de nombreux prix prestigieux tout au long de sa longue carrière et ses 15 livres ont été traduits dans 30 langues.
Sybille Berg est devenue une figure emblématique dans les milieux de la sous-culture allemande, gagnant une très large base de fans auprès de la communauté LGBT et dans les communautés artistiques européennes. Sibylle Berg a reçu le Prix Suisse de littérature pour son dernier roman GRM – Brainfuck. En 2020 elle a reçu le Grand Prix de Littérature, le prix le plus prestigieux décerné par la Suisse pour une oeuvre littéraire.

Mon séjour à l’Istituto Svizzero à Rome est tombé un peu comme quand on gagne à la loterie : pile au moment où je me demandais dans quel coin d’Europe l’action de mon nouveau livre allait se dérouler. En 2019 le premier livre de ma trilogie paraissait. La première partie – GRM-Brainfuck – se passait en Angleterre, la deuxième – RCE Remote Code Execution – dans toute l’Europe, avec son centre au Tessin – et, désormais, c’était une évidence, le nouveau tome NEW qui décrit la reconstruction post-débâcle du système financier et du système social, devait se passer en Italie. L’Italie, le pays que pratiquement le monde entier croit connaître, et qui pourtant recèle encore de bonnes et de mauvaises surprises : anarchie, fascistes, communistes, beauté et déclin, convivialité et criminalité, richesse et pauvreté absurde.

Le décor parfait pour le lancement d’une expérimentation socialiste utopique.

Mes recherches en Italie ont débuté l’année dernière, avec des voyages dans des lieux déserts dans le Nord du pays, des discussions avec des scientifiques et des sociologues italien.ne.s. A cet égard le séjour à l’Istituto Svizzero s’est révélé parfait pour approfondir les sujets avec deux guides locaux.

J’ai eu droit à un cours accéléré sur, en vrac, les ghettos, la mafia, l’anarchie, les squatts, les rêves d’avenir et le désespoir à Rome, les banlieues, Naples, la Sicile. Et aujourd’hui, de retour à la maison, j’espère écrire un best-seller absurde et génial. Hélàs!

Je ne peux sortir qu’un mauvais italien, je m’étais imaginé que ça viendrait tout seul, dans la belle villa. C’est plutôt raté.

29.05.2023
Solmeng-Jonas Hirschi

Carpe diem – oui, mais lequel ?
Solmeng-Jonas Hirschi

Solmeng-Jonas Hirschi (1992) travaille depuis 2021 comme assistant de recherche post-doctoral à l’Université de Fribourg, où il enseigne le grec ancien ; actuellement il se consacre à l’élaboration du catalogue numérique des papyrus conservés au Musée BIBLE+ORIENT. Il est diplômé en grec ancien, latin, histoire et anthropologie de l’Université de Berne (2015). Par la suite, il a obtenu un Master en linguistique et papyrologie à la University of Oxford (2016), où il a terminé son doctorat (2021) sur la pragmatique de la thérapie philosophique dans les lettres d’Épicure, sous la direction du professeur Tobias Reinhardt. À Rome, il poursuivra son projet de recherche De Temps en Temps – Epicure, Bergson, McTaggart, qui explorera le concept de temps dans l’œuvre de ces trois philosophes.

On peut cueillir le jour, comme le dit Horace, mais peut-on cueillir hier et demain aussi ? La gestion des souvenirs heureux et des craintes est cruciale à l’exercice du bonheur épicurien. Une erreur de compréhension pourrait s’avérer fatale à la béatitude. Ce serait dommage.

Le poète et philosophe épicurien (ou philosophe et poète, c’est selon) Lucrèce prétend que si le temps n’est rien en soi (De rerum natura 1.459), le passé est néanmoins une propriété d’un lieu ou d’un objet. Car le temps est corrélatif de tout changement et tout changement dépend d’un objet. Chaque chose aurait ainsi son histoire en elle, évoluant conjointement et se dégradant doucement.

La conceptualisation d’un temps abstrait à partir de cela est une affaire très délicate. Le « temps » ne dépend alors plus seulement de l’objet changeant ou du phénomène se produisant, mais aussi de son observation. Le rapport empirique au temps doit toujours rester au centre de sa conceptualisation. Une confiance aussi solide dans la validité de l’expérience pour une chose aussi abstraite est remarquable dans l’antiquité. Mais cela crée à bien des égards plus de problèmes que cela n’en résout : peut-on alors jamais vraiment parler d’autre chose que de nos ressentis ?

Epicure nous met devant un dilemme qu’on retrouve sous d’autres formes chez les philosophes H. Bergson et J. McTaggart, quelques 2000 ans après Lucrèce. Temps-évolution objectif ou temps-durée subjectif, causal ou perçu, changement ou concept, le chemin de crête entres les différents temps est malaisé. Les phrases à moitié finies sur des papyrus carbonisés par l’éruption du Vésuve ou sur des parchemins abîmés du Vatican ne nous aident pas franchement à comprendre les épicuriens. Ces sources éparses, fragmentaires et souvent lacunaires forcent la spéculation à chaque coin de lignes. C’est un risque et une opportunité. C’est la sève de la passion philologique.

Vue plongeante sur l’hermès bicéphale en marbre représentant Epicure et son disciple Métrodore, retrouvé au Portico di Santa Maria Maggiore et exposé dans la ‘Salle des Philosophes’ des Musées Capitolins de Rome (inv. MC 576 ; copie romaine d’un original grec ; 2e siècle de notre ère).

Vue plongeante sur l’hermès bicéphale en marbre représentant Epicure et son disciple Métrodore, retrouvé au Portico di Santa Maria Maggiore et exposé dans la ‘Salle des Philosophes’ des Musées Capitolins de Rome (inv. MC 576 ; copie romaine d’un original grec ; 2e siècle de notre ère).

Ma recherche sur le temps épicurien avance une nouvelle lecture des textes qui dynamise le dualisme entre temps absolu (celui de la course effrénée des atomes) et temps de l’expérience (entre deux pauses-café). En creux, c’est la portée ontologique des concepts chez Epicure dont il est question. Car dire ce que l’on sait ne revient pas forcément à dire ce qui est. Faire le premier est déjà complexe, tenter le second est audacieux. Mais je crois Epicure ambitieux.


Rome antique sans romantique
J’ai commencé ma résidence de 5 mois ici à Rome à la mi-février. Personnellement plutôt porté sur la théorie et les textes, la ville m’a rapidement rappelé à la réalité. L’expérience sensorielle constante de productions antiques interroge : comment les voir (ou les ignorer) ? Les lire ou les écrire ? On peut en tout cas difficilement en faire l’économie, si tant est même qu’on le veuille. A Rome, ma réflexion sur le temps est devenue inévitablement plus empirique. Cela peut paraître paradoxal mais cette surcharge de passé visible recalibre mon rapport à celui-ci vers plus de sobriété. Elle me permet de prendre du recul. A l’usage (ou à l’usure), « l’antiquité », ce prêt-à-penser commode dont on se croit, se veut ou même se crée si facilement héritiers, se révèle moins exemplaire, moins grave et plus commune. Relativisée. Dédramatisée. Il devient alors plus aisé de chercher et partager ses connaissances sans qu’à son insu on en ait fait les proxys de ses propres valeurs. On perd peut-être en grandiloquence, mais on gagne largement en honnêteté intellectuelle.

Ces réflexions sur la présence et l’utilisation de l’antiquité m’ont conduit à organiser une table ronde (ce 31 mai) avec l’artiste en résidence Sophie Jung. Le thème en est les canons littéraires et esthétiques, domaine où l’antiquité a longtemps joué un rôle écrasant tant sur la recherche que sur la créativité. Mais mon questionnement du rapport à l’antiquité m’a aussi amené à travailler avec l’artiste en résidence Grégory Sugnaux dans la réalisation d’une sculpture hybride combinant la typologie du pilier hermaïque antique avec un objet de consommation actuel.

Dispenser, sculpture de G. Sugnaux et S.-J. Hirschi, plan dessiné par G. Azzariti.

Dispenser, sculpture de G. Sugnaux et S.-J. Hirschi, plan dessiné par G. Azzariti.

Ces collaborations mobilisant des compétences variées font se téléscoper les temporalités et les références. Les savoirs deviennent une matière à travailler. Ils se désacralisent, les formes se déforment, les possibles s’étendent.


Les clepsydres molles
Il n’est pas certain qu’Epicure ait réellement défendu l’existence d’un temps absolu, même s’il semble parfois jouer avec l’idée. En arrivant, je partais du principe qu’il allait falloir trancher, me décider face au dualisme. Mais la relecture des manuscrits et le goût du mille-feuille archéologique romain (plutôt que le camembert) remettent les idées en place. Le temps est plus mou qu’on veut bien le croire. Tout comme l’antiquité, il est peut-être avant tout ce qu’on en fait.

Les strates historiques de Rome affleurant ci et là accompagnent quotidiennement ma réflexion sur le temps d’une part et sur les enjeux et défis de ma discipline d’autre part. Se confronter aussi intensément aux fragments et reliefs du passé courbe la pensée. On revient sur ses évidences, on les actualise, on prend mieux conscience de son interprétation.

Sauver le temps et le camembert de Dalí, image générée à l’aide de DALL-E.

Sauver le temps et le camembert de Dalí, image générée à l’aide de DALL-E.

03.05.2023
Matteo Meschiari

L’ère de l’effondrement
Matteo Meschiari

Matteo Meschiari (Modena, 1968), ancien chercheur en sciences Demo ethno anthropologiques, est professeur associé en géographie culturelle à l’université de Palerme. Depuis des années, il étudie le paysage dans la littérature et mène des recherches sur l’espace perçu et vécu en Europe et au-delà. Il a formulé la théorie de l’esprit paysager, selon laquelle l’esprit humain est génétiquement et culturellement basé sur le paysage, et a proposé de nouveaux modèles d’interprétation pour l’art paléolithique franco-cantabrique. Il mène ses études à la fois dans une perspective évolutionniste, cognitive et culturelle (traitant des relations entre la pression environnementale et le développement de modules cognitifs) et dans une perspective anthropologique et géographique (traitant de la dynamique spatiale et de la domestication, des modèles d’habitation et de la dynamique entre l’espace, le corps et la performance dans la tauromachie). Il complète son étude de l’environnement par des écrits militants pour sa défense, ainsi que par des articles et des livres non romanesques et littéraires.

La géographie et l’anthropologie portent des regards systémiques sur le monde physique et social, et, comme d’autres disciplines traditionnelles, elles entrent aujourd’hui dans une nouvelle ère culturelle: l’Anthropocène. Leur contribution à la perception du cosmos, radicalement transformé par notre espèce, n’en est qu’à ses débuts. De nouvelles réflexions épistémologiques, de nouvelles méthodologies, de nouveaux objectifs sont en cours d’élaboration. En tant qu’anthropologue, géographe, professeur et écrivain, j’étudie depuis une vingtaine d’années le rapport humanité-environnement, en particulier les cultures narratives et, dans le monde occidental, la narrativisation littéraire du paysage, en tant que de dépassement de l’opposition nature-culture. Ces cinq dernières années, je me suis focalisé sur la cartographie des différents imaginaires nés du tournant de l’Anthropocène, notamment dans le roman contemporain, les arts visuels et certaines formes d’expression de la pop culture (cinéma, bandes dessinées, séries TV). Mes réflexions sont consignées dans plusieurs essais (La Grande Estinzione. Immaginare ai tempi del collasso, 2019; Antropocene fantastico. Scrivere un altro mondo, 2020; Geografie del collasso. L’Antropocene in 9 parole chiave, 2021; Landness. Una storia geoanarchica, 2022), mais aussi dans deux blogs que j’ai créés et que j’anime avec l’écrivain Antonio Vena, ici et ici.

Persuadé que seule une approche éclectique permet de cheminer d’appréhender cette vaste opération de cartographie culturelle dans toute sa complexité, je mène en ce moment trois projets de front: la publication italienne de l’ouvrage de Paul Shepard intitulé The Tender Carnivore and the Sacred Game (1973); un essai de contre-cartographie, Terre che non sono la mia. Una controgeografia in 111 mappe (octobre 2023); et un roman écrit à quatre mains avec Antonio Vena, Ravenna-Exolution. Le fil rouge qui relie ces trois projets tient, en substance, à la conviction que parler de l’Anthropocène appelle l’adoption d’un « plurilinguisme » exploratif. Alors qu’il écrivait au début des années 1970, Paul Shepard, en visionnaire, a su identifier des dynamiques d’effondrement cognitif dont nous n’avons pris conscience que bien plus tard. Publier son livre en italien 50 ans après ne relève pas d’une démarche historique, mais vise à fournir au public italophone un outil particulièrement innovant pour repenser la pathologie anthropocentrique qui mène notre espèce au bord de la catastrophe.
Faute de véritable imagination – autre symptôme du collapse culturel de l’Occident –, l’étude des cultures traditionnelles autochtones, en particulier celles de la chasse et de la cueillette, peut permettre de décentrer et de désanthropiser le regard: comment des groupes humains très différents du nôtre voyaient-ils, et voient-ils, la Terre? Comment représentaient-ils et « cartographiaient-ils » leur paysage? Enfin, le roman soulève toujours des questions liées à la narration, et la narratologie est le principal instrument de décryptage du nouveau « storytelling » anthropocène, peut-être en y contribuant et en mettant au jour certains récits toxiques.

Ces trois pistes de recherche avaient besoin d’un lieu catalytique unique, d’un cube d’espace-temps dans lequel réfléchir à trois vitesses, sans distractions intellectuelles et sociales. C’est alors que s’est concrétisée la Senior Fellowship de l’Institut suisse, qui a permis de répondre à une exigence encore plus difficile à satisfaire: disposer d’un creuset humain et culturel exceptionnel où mener des expériences de laboratoire, pour donner un cadre conceptuel aux hypothèses de travail que, dans cette phase de ma vie, je ressens comme plus urgentes. Sachant que je travaille souvent sur des images et avec des images, j’en ai sélectionné une pour m’accompagner durant mon séjour romain, pour me servir de « fossile repère » (Leitfossil) et m’aider à m’orienter dans l’Atlas de l’Anthropocène (Bilderatlas Anthropozän): un glacier. Les glaciers du Pléistocène, comme paysage des chasseurs-cueilleurs du Paléolithique; les glaciers comme modèle de complexité et d’irreprésentabilité perceptive; les glaciers comme thermomètre d’une crise climatique et cognitive. L’histoire des glaciers en tant qu’objet scientifique, mais aussi culturel et imaginatif, naît en Suisse, avec les observations de Louis Agassiz et de Horace-Bénédict de Saussure, dont les enseignements demeurent riches d’enseignement à mes yeux aujourd’hui encore. Que je m’intéresse aux cultures paléolithiques, à la géologie culturelle, à l’invention des Alpes ou à la crise climatique, les « glaciers de l’esprit » constituent un thème récurrent dans mes travaux. Et c’est à une relecture de tous ces glaciers à la lumière sinistre de l’Anthropocène que j’entends consacrer mon séjour à Rome.

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