The blog of Istituto Svizzero allows Fellows and Senior Fellows to connect with the public during their stay in Rome, Milan or Palermo, offering a unique perspective on the progress of their practice and research. Through a series of regularly published articles, one has the opportunity to closely follow the research and reflections of the residents. To read blog posts from previous editions click here.
Gaia Vincensini vit et travaille entre GenĂšve et Paris. Elle a obtenu son diplĂŽme de licence de la HEAD-GenĂšve en 2016. Dans son travail, elle crĂ©e des rĂ©cits qui explorent les systĂšmes de valeurs qui structurent lâart et la sociĂ©tĂ©. En 2021, elle a remportĂ© les prix Manor et Kiefer Hablitzel I Göhner et en 2020, elle a effectuĂ© une rĂ©sidence de neuf mois Ă la CitĂ© internationale des arts de Paris. Son travail a Ă©tĂ© exposĂ© au MAMCO et Ă la Forde Ă GenĂšve, au Swiss Institute Ă New York, Ă la Maison dâArt Bernard Anthonioz Ă Nogent-sur-Marne et plus rĂ©cemment Ă la Galleria Martina Simeti Ă Milan et, pendant la FIAC, Ă la galerie Gaudel de Stampa. Ă Rome, elle dĂ©veloppe une sĂ©rie dâĆuvres explorant les divinitĂ©s du monde contemporain et la maniĂšre dont les ĂȘtres humains sây confrontent.
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Cher Temps,
Les villas romaines sont comme des golems qui se dévorent entre eux avant de se cannibaliser. Construites les unes sur les autres, elles cherchent continuellement à se dépasser, alimentant ainsi un cycle sans fin auquel seule une destruction pure et simple peut mettre fin.
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Le cannibalisme architectural dĂ©signe la pratique consistant Ă rĂ©utiliser des bĂątiments ou parties de bĂątiments existants pour construire de nouvelles structures. TirĂ© du latin canis, « chien », le terme fait rĂ©fĂ©rence au fait de se nourrir de chiens pour assurer sa propre subsistance. Il est employĂ© dans des contextes trĂšs divers, mais est surtout associĂ© Ă la pratique qui, en architecture, consiste Ă recycler dâanciens bĂątiments ou segments de bĂątiments pour en construire dâautres.
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UtilisĂ©e depuis la nuit des temps, cette mĂ©thode nâa rien de nouveau. Le ColisĂ©e de Rome, construit avec des matĂ©riaux repris dâautres structures, en constitue lâun des exemples les plus cĂ©lĂšbres. Plus rĂ©cemment, le terme a aussi Ă©tĂ© employĂ© pour dĂ©crire la destruction dâanciens Ă©difices et la rĂ©utilisation des matĂ©riaux rĂ©cupĂ©rĂ©s pour en Ă©lever dâautres. Alors que le coĂ»t des matĂ©riaux de construction augmente et que la quantitĂ© de bĂątiments anciens disponibles diminue, cette pratique devient aujourdâhui de plus en plus courante.
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LâaraignĂ©e veuve noire est une espĂšce sexuellement dimorphique. Les femelles sont beaucoup plus grandes que les mĂąles, puisquâelles mesurent jusquâĂ 4 centimĂštres, alors que les males sont gĂ©nĂ©ralement deux fois plus petits. La durĂ©e de vie varie Ă©galement : les femelles peuvent vivre jusquâĂ 3 ans, tandis que les males ne vivent quâenviron une annĂ©e.
La veuve noire femelle est aussi beaucoup plus agressive et tue souvent le male aprĂšs lâaccouplement. Elle sâaccouple avec de nombreux partenaires et peut stocker le sperme dans son organisme et lâutiliser plus tard.
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Le cannibalisme sexuel a quelque chose de tabou qui le rend dâautant plus excitant. LâidĂ©e de manger lâautre â ou dâĂȘtre mangĂ©.e â constitue pour beaucoup un puissant aphrodisiaque.
Le cannibalisme sexuel peut ĂȘtre dangereux et nâest pas adaptĂ© Ă tout le monde. Mais pour ceux et celles qui veulent explorer ce fantasme sombre et tabou, lâexpĂ©rience peut sâavĂ©rer incroyablement Ă©rotique et excitante.
Pour le reste, rien dâextraordinaire, des sphinx de la finance, des codes, des coffres et des montres.
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Lisa Virgillito est titulaire dâun Master en Architecture de lâĂcole polytechnique fĂ©dĂ©rale de Lausanne â EPFL et ses recherches universitaires portent sur la prĂ©servation du patrimoine architectural et culturel des lieux dits « informels » et sur lâintersection de ces activitĂ©s culturelles avec lâenvironnement domestique. Une partie de la thĂšse sera rĂ©alisĂ©e Ă Madrid et se concentrera sur lâĂ©tude des « corralas », une typologie de logements sociaux du XXIe siĂšcle qui ont Ă©galement des reprĂ©sentations thĂ©Ăątrales dans leurs cours. Ă Palerme, elle sâest penchĂ©e sur lâĂ©tude dâun exemple sicilien, les arĂšnes, anciens cinĂ©mas populaires en plein air. Les fragments de ces cinĂ©mas encore prĂ©sents dans la ville on Ă©tĂ© Ă©tudiĂ©s et documentĂ©s par des photographies et des dessins dâarchitecture.
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Cinema-Teatro Arena Trianon, représentation, 1950.
Source: Alfano, Fabio. Giovanni Pernice: lâArena Trianon e le altre opere. Palermo: KalĂłs edizioni, 2019.
Lundi 26 septembre 2022. Une journĂ©e spĂ©ciale car avec lâarrivĂ©e de lâautomne et de tempĂ©ratures plus raisonnables, les salles de cinĂ©ma de Palerme rouvrent leurs portes pour une nouvelle saison. Une journĂ©e spĂ©ciale Ă©galement car hier le peuple italien a votĂ© et les rĂ©sultats, qui paraissaient impensables depuis 1945, sont, pour utiliser un euphĂ©misme, des plus inquiĂ©tants.
Avec Maya Hottarek, lâartiste avec qui je partage cette rĂ©sidence au Palazzo Butera, nous nous rendons au Cinema Rouge et Noir, qui se trouve prĂšs du Teatro Massimo, en plein coeur de Palerme. Tous les lundis soir a lieu le cinĂ©-club, lâendroit est bondĂ©, tout le monde se connaĂźt et se salue, un seau de pop corn dans une main, un Campari Soda dans lâautre.
AprĂšs les mondanitĂ©s palermitaines dâusage, place au 7Ăšme art, qui est, aprĂšs tout, la raison de mon sĂ©jour ici. Gian Mauro Costa, le directeur du Rouge et Noir, prĂ©sente dâabord le film du jour, M le Maudit de Fritz Lang. Puis, la mine grave, il Ă©voque ce qui est dĂ©jĂ sur toutes les lĂšvres depuis la veille. Il est inquiet, comme tout le monde dans la salle. JournĂ©e spĂ©ciale ai-je dit plus haut, journĂ©e tristement historique, rectifie-t-il.
A Palerme, le sacré est partout. Le profane aussi.
Sur les autels, Marie est entourée par des canettes de biÚres vides, fidÚles gardes du corps.
Sur les places, les confettis rose Madre di Dolore prega per noi se cachent entre les pavés sur lesquels roulent les enfants en scooters.
Et sur la scĂšne du cinĂ©ma, le directeur a des allures de prĂȘtre et nous Ă©coutons son sermon avec attention.
Câest pour et par la culture que nous devons nous battre, affirme-t-il.
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Annonce de la rĂ©ouverture de lâArena Trianon.
Source: LâOra 13 juin 1951, p. 3., Instituto Gramsci, Palerme.
La culture, câest peut-ĂȘtre le sacrĂ© et le profane Ă la fois ? Le cinĂ©ma lâest en tout cas, câest ce que me racontait Mario Bellone, figure emblĂ©matique de la culture palermitaine et ancien directeur du cinĂ©ma en plein air de la Villa Philippina, autour dâun macchiato au CafĂ© Luca. Il affirme que le seul endroit oĂč les gens se rendaient avec autant dâassiduitĂ©, et plus dâenthousiasme, quâĂ lâĂ©glise, câĂ©tait les arene. Si les Ă©glises sont classĂ©es au patrimoine et protĂ©gĂ©es, ce nâest pas le cas de ces temples ephĂ©mĂšres du film.
Arene est le nom donnĂ© Ă ces cinĂ©mas de quartier en plein air qui se sont dĂ©veloppĂ©s principalement durant les annĂ©es cinquante Ă septante, suite aux bombardements qui avaient constellĂ© la ville de vide, de terrains vagues, que le cinĂ©ma, en plein essor Ă cette Ă©poque, sâest empressĂ© de venir combler. Ces arene naissaient dans les cours Ă lâarriĂšre de cinĂ©mas existants, sur des petites places, ou mĂȘme entre deux maisons; elles fleurissaient partout oĂč un soupçon dâespace libre le leur permettait. Leur organisation Ă©tait simple et gĂ©nĂ©ralement ces espaces se crĂ©aient souvent sur lâinitiative des habitants du quartier, qui parfois allaient mĂȘme jusquâĂ apporter les chaises en plastique de leur cuisine.
Au cours de cette rĂ©sidence, lâobjectif est de mettre par Ă©crit lâ histoire principalement orale de ces arene, de chercher des indices de leur existence dans les archives des journaux palermitains LâOra et Il Giornale di Sicilia, de rĂ©colter tĂ©moignages et anecdotes et Ă©ventuellement de tenter de faire revivre ces lieux pour des Ă©venements contemporains.
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Programme des projections dans les arene de Palerme, été 1951.
Source: LâOra 17 juin 1951, p. 3, Istituto Gramschi, Palerme.
Avec Nuova Orfeo, collectif dâartistes que jâai rencontrĂ© au cours de ma rĂ©sidence et qui a dĂ©jĂ organisĂ©, en 2021, une projection dans lâancienne Arena Sirenetta Ă Mondello, nous nous sommes pris au jeu dâimaginer un Ă©venement similaire dans lâemblĂ©matique Cinema-Teatro Arena Trianon.
Cette arena se trouve via Alessandro Scarlatti 14, Ă quelque pas du Cinema Rouge et Noir et fut rĂ©alisĂ©e en 1944-45 par lâarchitecte Giovanni Pernice et Paolo Caruso sur demande dâun riche commerçant de Catagne, Giovanni Papale, passionĂ© de thĂ©Ăątre et de cinĂ©ma. La commune de Palerme lui avait cĂ©dĂ© un terrain prĂšs du magasin dâĂ©lĂ©ctromĂ©nager quâil possĂ©dait dĂ©jĂ sur une rue adjacente. Ce genre de projet Ă©tait particuliĂšrement rentable aprĂšs la guerre, et lâarene fut construite avec des matĂ©riaux rĂ©cupĂ©rĂ©s des bombardements dans une architecture typiquement fasciste, comme le reste du quartier dans lequel elle se situe. Elle devint rapidement un haut lieu de culture de la ville et accueillit sur ses planches de grands noms tels que Alberto Sordi ou Mata Hari, puis son activitĂ© se rĂ©duisit aux projections cinĂ©matographiques et finalement, avec lâarrivĂ©e de la tĂ©lĂ©vision dans les foyers, sa fonction devint presque dĂ©suĂšte.
Elle fut vendue aux enchÚres dans les années quatre-vingt et est depuis lors, utilisée comme parking.
AprĂšs trois mois de recherches thĂ©oriques Ă Palerme, je pense encore Ă la conclusion du discours de Gian Mauro Costa. Devant lâĂ©cran, il nous regardait tous assis, disciples de la culture, marĂ©e de petites tĂȘtes aurĂ©olĂ©es par la lumiĂšre encore allumĂ©e de la salle de cinĂ©ma et il nous assĂ©na un dernier conseil, ou mĂȘme un ordre, que jâai dĂ©cidĂ© de prendre au pied de la lettre.
Non stare zitti, vi prego.
Fate casino!
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Cinema-Teatro Arena Trianon, Via Alessandro Scarlatti, aujourdâhui.
Source: Photographie par Giovanni Lizzio.
Giorgio Azzariti Giorgio Azzariti est architecte, candidat au doctorat Ă lâĂcole polytechnique fĂ©dĂ©rale de Zurich (ETHZ). Il a Ă©tudiĂ© Ă lâĂcole nationale supĂ©rieure dâarchitecture de Paris-Belleville et Ă lâUniversitĂ Roma Tre, oĂč il a obtenu son Master en architecture en 2017. Il a travaillĂ© pour des cabinets dâarchitecture et des institutions internationales, notamment Herzog & de Meuron Ă BĂąle et le Museum of Modern Art Ă New York. Ă Rome, il poursuivra sa thĂšse de doctorat, en Ă©tudiant de maniĂšre thĂ©matique, Ă travers lâĆuvre de lâarchitecte Giuseppe Vaccaro (1896-1970), la modernisation de lâarchitecture italienne Ă travers les mutations politiques radicales qui ont balayĂ© le siĂšcle dernier. est architecte, candidat au doctorat Ă lâĂcole polytechnique fĂ©dĂ©rale de Zurich (ETHZ). Il a Ă©tudiĂ© Ă lâĂcole nationale supĂ©rieure dâarchitecture de Paris-Belleville et Ă lâUniversitĂ Roma Tre, oĂč il a obtenu son Master en architecture en 2017. Il a travaillĂ© pour des cabinets dâarchitecture et des institutions internationales, notamment Herzog & de Meuron Ă BĂąle et le Museum of Modern Art Ă New York. Ă Rome, il poursuivra sa thĂšse de doctorat, en Ă©tudiant de maniĂšre thĂ©matique, Ă travers lâĆuvre de lâarchitecte Giuseppe Vaccaro (1896-1970), la modernisation de lâarchitecture italienne Ă travers les mutations politiques radicales qui ont balayĂ© le siĂšcle dernier.
AprĂšs lâannexion de Rome par le Royaume dâItalie en 1870, lâessor de la bureaucratie savoyarde et la fiĂšvre de construction qui lâaccompagne redessinent peu Ă peu les contours de lâancienne citĂ© papale. IndiffĂ©rente Ă la beautĂ© de la citĂ© Ă©ternelle, la nouvelle classe dirigeante retire les privilĂšges de lâancien patriciat, mue par lâambition de construire la Rome moderne. Le quartier de Ludovisi, qui sâĂ©tend entre Villa Borghese â un des grands parcs de la ville â et Piazza Barberini, est au cĆur de ces changements. AprĂšs la mise en vente, en 1886, par la famille Ludovisi du parc luxuriant quâil abritait, le quartier est entiĂšrement urbanisĂ© et devient rapidement lâun des grands centres de la vie romaine.
En 1925, la Confederazione Nazionale Sindacati Fascisti y fait lâacquisition de certains de ses plus beaux sites. Le but est de donner Ă la construction de lâEtat fasciste (qui, par la Carta del Lavoro ou Charte du travail, de 1926, fait du nouveau droit corporatif le moteur de son action) une empreinte architecturale, en Ă©rigeant dans ce quartier son principal siĂšge ministĂ©riel. La mise au concours du projet en 1926 dĂ©signe deux laurĂ©ats ex-aequo, Marcello Piacentini et Giuseppe Vaccaro: le premier, dieu vivant de lâarchitecture en Italie; le second, son dauphin et star montante. Marcello Piacentini, qui avait dĂ©jĂ dessinĂ© le plan gĂ©nĂ©ral du quartier, prend en charge le dĂ©but de la mise en Ćuvre. Mais alors que sont dressĂ©es les fondations, le chantier est brusquement interrompu en 1928: la Confederazione Nazionale est dissoute, et avec lâintensification de la crise financiĂšre mondiale, le budget prĂ©vu devient impossible Ă tenir.
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Maquette du projet; qui ne correspond toutefois pas Ă la version finale, oĂč les Ă©lĂ©ments dĂ©coratifs sont moins nombreux et la forme du bĂątiment simplifiĂ©e.
© Archivio Vaccaro, Roma.
Vaccaro et Piacentini doivent donc adapter le projet aux nouvelles exigences dâaustĂ©ritĂ©: des 40 millions prĂ©vus, le budget tombe Ă 29 millions; le bĂątiment se transforme en une masse compacte; aux ouvertures moins nombreuses, construite avec des matĂ©riaux locaux et moins chers. Les motifs dĂ©coratifs sont sensiblement rĂ©duits, et le nombre de salles de rĂ©ception revu Ă la baisse. Vaccaro prend les rĂȘnes de lâĂ©dification de la nouvelle version, qui avance rapidement.
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Le bĂątiment construit, avec lâentrĂ©e principale au bout de Via Molise et la façade principale, qui suit la courbe marquĂ©e par Via Veneto.
© Archivio Vaccaro, Roma.
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Quand le 30 novembre 1932, le siĂšge du ministĂšre des Corporations est enfin inaugurĂ©, lâIstituto Luce immortalise lâĂ©vĂ©nement. La camĂ©ra filme lâensemble dâentrĂ©e grandiose, bordĂ© dâĂ©normes platanes puis, quelques instants plus tard, lâarrivĂ©e dâune Lancia noire, qui sâarrĂȘte devant les marches. Mussolini et le secrĂ©taire du parti national fasciste italien Achille Starace sortent rapidement du vĂ©hicule et pĂ©nĂštrent dans le bĂątiment, avec au fond lâescalier dâhonneur et le triple vitrail de Sironi qui illustre la Carta del lavoro. Dans la salle de confĂ©rence, Mussolini annonce le nouveau statut de lâEtat corporatif fasciste; derriĂšre lui, les veines des dalles en travertin crĂ©ent des motifs gĂ©omĂ©triques abstraits, surmontĂ©s de trois faisceaux de licteur en bronze de plus de quatre mĂštres de haut. DĂšs le discours terminĂ©, la voiture repart sur une Via Veneto dĂ©serte; on entrevoit lâimposante façade du palazzo, qui suit lâarrondi de la route. La foule se disperse, la lumiĂšre baisse, le bĂątiment disparaĂźt.
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Giornale Luce B0175, 1932. Lâinauguration du nouveau ministĂšre des Corporations, le 30 novembre 1932.
© Istituto Luce, Roma.
Quelques annĂ©es plus tard, aprĂšs lâarmistice signĂ© le 8 septembre 1943, Rome est unilatĂ©ralement dĂ©clarĂ©e ville ouverte, et les troupes allemandes occupent la citĂ©. Le quartier de Via Veneto devient le centre de contrĂŽle des actions nazi-fascistes, et le Palazzo delle Corporazioni leur siĂšge dĂ©signĂ©. Le 23 mars, les cĂ©lĂ©brations du 25e anniversaire de la fondation du parti fasciste se tiennent Ă lâintĂ©rieur du bĂątiment. Quelques heures plus tard, lâunitĂ© partisane des Gruppi di Azione Patriottica (Groupes dâaction patriotique), dans une action visant Ă sortir de sa torpeur une population en attente de lâarrivĂ©e des alliĂ©s, fait exploser une bombe Ă deux pas de lâancien siĂšge du ministĂšre, tuant 33 soldats allemands. La rĂ©action nazie, soutenue par lâadministration de la Repubblica Sociale Italiana, donnera lieu au massacre des Fosses ardĂ©atines, au cours duquel 335 prisonniers italiens, totalement Ă©trangers aux actions partisanes, sont tuĂ©s prĂšs de la Via Appia Antica. Quelques mois plus tard, les alliĂ©s entrent Ă Rome; la ville est libĂ©rĂ©e et les forces amĂ©ricaines installent leur base logistique dans le palazzo construit par Vaccaro et Piacentini.
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Les membres de la garnison rescapĂ©s de lâattentat surveillent les bĂątiments adjacents.
© Bundesarchiv, Bild 101I-312-0983-05 / Koch / CC-BY-SA 3.0.
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Un groupe militaire formĂ© de soldats allemands arrĂȘtent des civils au hasard devant le Palazzo Barberini.
© Bundesarchiv, Bild 101I-312-0983-05 / Koch / CC-BY-SA 3.0.
La fin de la Seconde Guerre mondiale entraĂźne une rĂ©organisation complĂšte de lâordre Ă©tatique; les emblĂšmes sont retirĂ©s, les administrations remplacĂ©es. Le Palazzo delle Corporazioni nâĂ©chappe pas Ă ces changements et devient le ministĂšre de lâIndustrie. Afin de rompre avec le passĂ© ou cacher les liens entretenus avec le fascisme, lâintĂ©rieur est transformĂ©: les symboles qui ornaient le bĂątiment â des fasces qui apparaissaient sur la façade jusquâaux tapisseries et aux fresques â sont retirĂ©s et les archives ministĂ©rielles disparaissent. AprĂšs la fin de la guerre et le dĂ©but du boom Ă©conomique, le quartier de Via Veneto devient le berceau de la dolce vita, telle que reflĂ©tĂ©e dans les films de Fellini: le lieu de prĂ©dilection des chanteurs, des journalistes et des acteurs. Rome reprend vie et Via Veneto est lâun de ses quartiers les plus animĂ©s, avec toujours, en toile de fond, le Palazzo delle Corporazioni.
SĂ©jour prĂšs de Villa Maraini
Le siĂšge de lâIstituto Svizzero est lui aussi situĂ© au cĆur de ce quartier, construit au dĂ©but du XXe siĂšcle sur les vestiges de lâancienne Villa Ludovisi. DĂšs le portail franchi, on aperçoit lâancien Palazzo delle Corporazioni â qui abrite aujourdâhui ministĂšre italien des Entreprises et du Made in Italy â en toile de fond de Via Cadore. Ces dix mois de rĂ©sidence Ă la Villa Maraini auront une grande importance dans ma recherche de doctorat, qui â Ă la lumiĂšre de lâitinĂ©raire professionnel de lâarchitecte Giuseppe Vaccaro (1896â1970) â retrace les bouleversements socio-politiques qui ont marquĂ© le XXe siĂšcle en Italie, sous lâangle de lâarchitecture. La consultation des archives publiques et privĂ©es â Ă Rome, Ă Bologne, Ă Naples ou encore Ă Milan â mâoffrira un accĂšs direct Ă des sources de premiĂšre main, essentielles pour ma thĂšse.